Il s’occupait comme à son habitude de ses très chers plantes - n’ayant jamais eu le tour côté relations sociales, il compensait en se liant d’amitié avec des végétaux - lorsqu’un bruit terrible le fit sursauter. Le téléphone sonnait, chose assez rare chez lui. Quoique depuis sa rencontre avec Elena, ce l’était beaucoup moins, mais il ne s’habituait simplement pas à cette sonnerie agressante.
« -Allo ? » murmura-t-il dans un ton plutôt las.
« -Salut Antoine, je te dérange ? Bien sur que non qu’est-ce que je dis, tu ne fais jamais rien. Sans offense eh ? C’est juste que… c’est la vérité. Mais bon je ne suis pas mieux tu sais il faut pas le prendre personnel. Quoique tu n’es pas du genre susceptible de toute façon. Bref, je me disais que comme tu n’as rien à faire ce soir et moi non plus, on pourrait aller faire un tour à l’Olympe, je suis curieuse de voir de quoi il a l’air ce fameux bar. Si je te promets de ne rien enflammer, ça te va ? Alors on se rejoint à la porte à 10h. À tantôt, bye ! » Clic. Elena.
« Bye. »
Dire que tout le monde la croyait timide. Elle était discrète, nuance. Dès qu’elle vous connaissait un tantinet, c’était l’explosion générale de votre petit monde bien rangé. Pas qu’Antoine s’en plaigne, Elena était la meilleure chose qui lui soit arrivé depuis fort longtemps. Il lui fallait seulement une certaine période…d’adaptation.
Elena avait toujours été effacée lorsqu’il était question d’apparitions publiques. Ne causant jamais de remous, elle faisait ce qu’on lui demandait et n’ouvrait la bouche que lorsque c’était vraiment nécessaire, du genre urgence nationale ou joli-mec-aux-yeux-verts à l’horizon. En d’autres mots, elle ne cherchait pas l’attention. De toute façon, avec la tête qu’elle avait, nul ne lui aurait accordé. Comprenez-moi bien, Elena était tout à fait adorable, mais objectivement parlant, elle n’était pas particulièrement jolie. Ni tout à fait laide pour autant. Elle n’avait simplement aucune envie de faire attention à son apparence. Pourquoi changer ? Pour plaire aux inconnus à qui elle n’adressait pas la parole? Comme si ça en valait la peine. Selon ses propres dires, Elena avait des cheveux trop raides, une peau trop blanche, un corps trop squelettique, un nez trop plat, des oreilles trop décollées… Et j’en passe. À vrai dire, une bonne partie de ce qu’elle mentionnait elle-même était vrai, sauf pour le nez et les oreilles qui étaient tout ce qu’il y a de plus normal, mais c’était loin d’être aussi pire qu’elle le croyait. Ainsi, sa peau avait beau être blanche, elle était aussi matte, se colorant d’une adorable teinte rosée lorsqu’Elena était gênée, et sa minceur impliquait qu’elle ait une taille de guêpe et de longues jambes. Pas si mal vous voyez ? Mais elle ne laissait personne remarquer ce genre de détail. Ses longs cheveux auburn cachaient son visage, et ses grosses lunettes rondes, ses yeux. Ceux-ci avaient beau être bruns, ils étaient magnifiques. Bordés de cils épais, faits en amande où des éclats d’or brillaient quand elle était heureuse. Lorsqu’on plantait notre regard dans le sien, ce qui était malheureusement trop rare - Elena avait le regard fuyant -, on la voyait sous un tout nouveau jour. Bref, elle aurait de quoi être jolie, il fallait seulement savoir la regarder. Et puisque personne ne s’en donnait la peine, personne ne voulait l’approcher. Sauf Antoine.
En fait, elle était allée vers lui plus que lui vers elle, mais le résultat était le même. Ils avaient ressenti en l’un l’autre la même essence, bien qu’ils soient complètement différents, et ne se quittaient plus depuis. Alors qu’elle cachait sa vraie nature sous une fausse gêne, il était véritablement délicat.
Il ne les faisait peut-être pas à cause de son air enfantin, son corps frêle, ses joues rosées et ses lèvres plutôt charnues, mais Antoine avait bien dans les 27 ans. Avec ses courts cheveux blonds qui ondulaient adorablement au niveau de la nuque, sa peau diaphane et ses grands yeux verts, il incarnait le…printemps. Il était frais, paisible, doux. Pur. Des mots qui ne décrivaient pas tant son physique que son aura. Toute sa beauté résidait au plus profond de son âme et c’est cela qui le rendait si intrigant. On aurait dit une apparition divine. Pourtant, même en étant beau comme un dieu, il n’avait jamais eu de succès avec les filles. Il faut dire qu’il n’était pas spécialement masculin avec sa passion pour les végétaux. Une affection assez étrange certes, mais pardonnée dès qu’on plantait notre regard dans celui de cet ange. D’ailleurs, Elena était bien pire avec son penchant pyromane plutôt développé, et on ne parle pas ici que d’un bon feu de cheminée. Elle avait à quelques reprises incendié divers objets ou immeubles, mais jamais la police n’était remontée jusqu’à elle. Heureusement, car Antoine n’aurait pas permis qu’elle ait des ennuis. Elena était sa fleur délicate. Qu’elle soit belle ou pas, pour lui, c’était une fleur. Et malgré ce que nous pourrions déduire de son physique angélique, il ne valait mieux pas faire fâcher notre cher jardinier.
***
J’accélérai le pas en apercevant la façade blanche de l’immeuble le plus en vogue du moment se découper à travers l’obscurité. Je la reconnus au premier coup d’œil. Il faut dire que parmi tous les vieux édifices décrépis gris-beige qui l’entourait, l’Olympe détonnait nettement. Mais la différence n’était pas là. Ce n’était rien qui se voyait avec les yeux, mais plutôt qui se ressentait jusqu’au plus profond de notre âme. Soit ça, soit j’étais fou, mais ça ne serait rien de nouveau. Le fait est qu’il y eut réellement quelque chose d’inexplicable qui se forma en moi lorsque j’approchai de cet immeuble situé tout au haut de la côte. Un sentiment d’appartenance. Comme si je rentrais enfin à la maison, et pourtant, je n’y avais jamais mis les pieds. Peu importe puisque je n’y retournerais probablement jamais après cette soirée. Les boîtes de nuit, ce n’était vraiment pas mon truc. La musique trop forte, les saoulons, les obsédés. Je ne voyais pas le moindre intérêt à ce genre d’endroit.
J’avais entendu parler de l’Olympe comme à peu près tout le monde en ville, c’est-à-dire par une connaissance qui, elle, en avait entendu parler par une autre connaissance, et ainsi de suite. C’est fou comme en quelques semaines à peine, c’était devenu le bar par excellence. Il faut dire que le bouche à oreille était exceptionnellement efficace lorsqu’il s’agissait d’activités peu recommandables. On en entendait tellement parler que même Elena et moi avions décidé d’aller y faire un tour, quoiqu’il serait plus juste de dire qu’elle m’y avait trainé de force, mais je ferais tout pour Elena et… une soirée ne me tuerait pas.
L’ambiance ô combien accueillante de ce coin sombre me donnait simplement le gout de faire demi-tour, mais je ne pouvais pas laisser tomber ma petite fleur. Je m’arrêtai alors soudainement, tout juste à côté de la porte, me sentant débile près du portier qui me regardait d’un drôle d’air. Il se demandait probablement ce que je faisais, planté là, enveloppé bien serré dans mon manteau de feutre noir à maudire le froid au lieu d’entrer. Mes cheveux s’agitaient dans tous les sens pendant que je résistais tant bien que mal aux bourrasques puissantes qui me décollaient presque du sol. Déjà que je n’étais pas particulièrement bâti, ce vent me donnait du fil à retordre. Comme je devais avoir fière allure. Au moins, je n’eus à attendre mon amie que quelques secondes à peine. Ensuite, Elena et moi-même entrâmes enfin dans le bar, se faisant naturellement arrêter par le videur au passage, bien que nous dépassions respectivement de 7 et 9 ans l’âge minimum pour entrer dans un tel établissement.
Une fois à l’intérieur je regrettai immédiatement de m’être laissé embarquer dans un tel projet. D’un seul regard mon amie et moi nous étions mis d’accord pour faire un tour rapide des lieux et partir au plus vite. Le seul problème étant que la foule était tellement dense qu’en détournant les yeux à peine 3 secondes, j’avais déjà perdu Elena. Je me dirigeai donc vers le bar d’où je pourrais avoir une meilleure vue d’ensemble. C’est alors qu’une fille s’approcha. Elle devait m’avoir confondu avec quelqu’un d’autre, car c’était loin d’être le genre de personne qui m’abordait habituellement. Disons simplement qu’elle était magnifique.
« Euh… Salut… Moi c’est Sara, j’t’ai jamais vu dans l’coin, t’es nouveau? »
Et puis…rien. Mon cerveau semblait être parti prendre une marche ou je-ne-sais-quoi, mais il n’était manifestement pas actif. Je balbutiai un bref « Salut » avant de baisser les yeux vers le sol. Puis, tout se passa très vite. Alors que je me préparais à partir en laissant la conversation se finir sur un malaise, comme à mon habitude, je croisai le regard de ladite demoiselle et quelque chose changea. Quelque chose qui, dans mon esprit, me dit que je ne devais pas partir, qu’elle ne me laisserait pas de toute façon. Puis, magiquement, les mots m’apparurent. Maladroits, évidemment, mais ils étaient bien là, ne demandant qu’à sortir.
« Heuu…oui je suis nouveau…en fait…non. Je suis pas nouveau dans le coin mais c’est la première fois que je viens ici. C’est mon amie qui m’a forcée à venir puisque ça fait des semaines qu’on entend parler de ce bar, d’habitude ce n’est pas mon genre du tout mais j’aime bien finalement. Les…les gens sont sympas. »
À noter qu’ici je fis un sourire plus que pitoyable. Stupide stupide moi.
« Je…Je crois que je vais revenir un jour. Tu viens souvent ici toi ? »
***
De son côté, Elena n’avait pas aussi bien réagi à la séparation forcée. Après avoir été aspirée par la foule, se fut la panique immédiate. Elle sonda rapidement le club du regard, mais ne trouva aucune trace de son ange. Voyant qu’elle approchait de l’hyperventilation et qu’il ne lui faudrait plus beaucoup de temps pour se décider à tout brûler, elle se dirigea vers les toilettes, mais croisa alors le seul jeune homme capable de faire de la compétition à Antoine côté beauté. Elle lui lança un regard furtif, puis se ravisa en voyant qu’il était… assez bien entouré. Et qu’il en profitait allégrement ! Se sentant de plus en plus mal à l’aise et légèrement voyeuse, Elena accéléra le pas pour s’éloigner du tombeur. Lorsqu’elle arriva à sa hauteur, il se leva doucement de son siège, comme en transe, et s’approcha d’elle.
« Pardon, nous sommes-nous déjà rencontrés? J’ai une impression de déjà-vu. »
« Je…je…non…c-c’est impossible. Je m’en souviendrais. »
Notre pauvre Elena n’avait malheureusement pas un extraordinaire sens de la répartie et la vue de cet Apollon lui avait dérobé toutes ses réserves de bon sens. Elle jouait donc avec ses cheveux de façon frénétique avec un air de merlan frit, espérant qu’un quelconque miracle vienne la sortir de cette humiliation. Surtout que les admiratrices de Casanova ne manquaient rien du spectacle. Puis, comme à l'habitude, se fut Antoine qui la sauva. En regardant partout autour d’elle pour se trouver une échappatoire, elle aperçut une chevelure presque blanche à l’exact opposé d’où elle se tenait. Sans même prononcer un simple au revoir à son interlocuteur ou tenir compte de la demoiselle avec qui son ange semblait être en grande conversation, Elena se dirigea vers Antoine comme une fusée. Repoussant sauvagement tous les danseurs sur son chemin, elle l’empoigna par le bras et sortit du bar aussitôt.
L’art de passer inaperçu.